L'interview de Laurent Marti invité sur Sud Radio

Invité ce samedi dans l'émission de Xavier Barret sur Sud Radio, le président de l'UBB a longuement commenté l'actualité du rugby et son évolution possible dans les mois à venir.

(Xavier Barret) Laurent Marti, comment allez-vous et comment vivez-vous cette période de confinement à Bordeaux ?

Je vais bien merci, et j'espère que c'est aussi  votre cas et celui de vos auditeurs. Oui je suis à Bordeaux, et ce confinement je le vis comme tout le monde, c'est long, on est un peu perdu...

(XB) Le débat autour du rugby est très médiatisé et manque de clarté...

Il y a eu deux phases. On a d'abord commencé un confinement de 15 jours, et la ligue a très vite réagi, elle a réuni les présidents et fait des groupes de travail et on a commencé à discuter de la manière dont on pourrait poursuivre la saison. De là on a bien senti que quelques clubs n'y étaient pas favorables et cherchaient à l'écourter. Inévitablement, certains clubs bien placés comme Bordeaux ont rétorqué que, si la situation le permettait, ce serait bien de terminer le championnat.

Puis il y a eu une deuxième phase, avec une réunion capitale la semaine dernière avec l'intervention de Bernard Dufour, le médecin référent à la Ligue Nationale de Rugby, et le médecin du Racing 92. Nous avons eu un très long exposé à l'issue duquel nous avons touché du doigt que non, la crise sanitaire ne nous permettait plus de nous projeter concrètement sur le rugby.

Aujourd'hui nous sommes complètement suspendus à l'avis médical et à ce que le gouvernement nous laissera faire. Il n'y a plus de débat sur les possibilités de jouer ou pas. Personnellement je n'en parle même plus, je suis fidèle à ce que j'avais dit au début.

J'ai toujours défendu l'idée de quarts de finale à 8 équipes.

(XB) C'est vrai que vous l'avez dit.

Oui, c'est normal de dire "Essayons de finir ce championnat", mais j'ai toujours évidemment précisé que c'était selon l'évolution de la crise sanitaire. J'en profite pour rappeler également que j'ai toujours défendu l'idée de quarts de finale à 8 équipes, pour privilégier l'équité et parce qu'il ne semblait pas juste d'exclure le Stade Toulousain. On n'a jamais voulu de phases finales ou d'un titre au rabais.

(XB) Franchement, ça a pris du temps avant d'arriver à une prise de conscience des dirigeants du rugby, non ?

On est des présidents de clubs de rugby. Aurait-on dû dire dès le début "Bon écoutez, il y a le covid, on abandonne tout ?". Nous avons toujours dit, car c'est notre devoir en tant que présidents, que nous continuerions à débattre de la fin du championnat, sous réserve que la situation sanitaire le permettait. Comme la crise s'enfonce, on n'en parle plus.

(Arnaud Rey) Suite au discours médical au sein de la ligue, les discussions sur un scénario 2 envisageant des phases finales en juillet ou en août ?

Juillet non, août c'est très compromis. On nous a expliqué que pour pouvoir reprendre dans les meilleures conditions, il y avait deux choses importantes. La première c'est que vu l'arrêt prolongé des joueurs, ils auraient besoin d'une période de remise en forme encore plus longue.

La deuxième, c'est que pour pouvoir les faire s'entraîner, nous allions devoir avoir recours aux tests tous les jours. Or les sportifs ne seront pas du tout prioritaires s'agissant de l'accès aux tests, et c'est tout à fait normal. Dès qu'on a pris conscience de cela et qu'on a compris qu'on ne pourrait pas garantir la santé des joueurs, on a tout stoppé. Maintenant, on attend.

Le rugby à huis-clos, ce n'est pas le rugby.

(Julien Plazanet) La ministre des sport a évoqué récemment que le sport ne serait pas prioritaire. Mais vous avez un club à sauver, où en est-on de la situation de l'UBB ? Le club est-il en danger sans match à jouer ?

Oui nous sommes inquiets. L'UBB fait partie de ces clubs qui fonctionnent à l'économie réelle, c'est à dire qu'on n'a pas de multinationale ou de mécène -même si j'ai quand même mis un peu d'argent !- qui puisse garantir la survie du club.

Nous avons eu beaucoup de messages de soutien à Bordeaux et ça nous réchauffe le coeur... Mais on comprend aussi que les gens, entreprises ou particuliers, n'auront plus les mêmes moyens pour participer à la vie du club. Si l'on se retrouvait dans des situations de matchs à huis-clos, ce serait dramatique pour tout le monde.

(JP) Vous n'êtes donc pas favorable au huis-clos et vous préféreriez repousser la reprise ?

Le huis-clos nous sera peut-être imposé, nous devrons peut-être y venir même si le gouvernement ne fait que le préconiser. Mais la formule selon laquelle on repousserait la reprise tant qu'il ne peut pas y avoir de supporters dans les stades me plaît assez. Le rugby à huis-clos, ce n'est pas le rugby.

(Xavier Barret) Vous avez été l'un des premiers à alerter sur le fait que l'économie du rugby allait trop loin, vous le dites depuis 10 ans...

Oui. D'abord quand la plupart des clubs sont en déficit, ça veut dire qu'on vit au-dessus de nos moyens avec des charges supérieures à nos produits. Dans la mesure où le public grandirait et que les droits TV augmenteraient, ce serait normal que les joueurs gagnent de mieux en mieux leur vie, en tant qu'acteurs principaux. Mais ce n'était pas le cas globalement.

Ensuite, j'ai peur depuis longtemps qu'on finisse par perdre les valeurs du rugby. On sait tous pourquoi on aime le rugby. On sait tous pourquoi 90% des gens qui découvrent le rugby finissent par en tomber amoureux. Il faut faire attention.

Je me suis battu depuis très longtemps pour qu'on protège le salary cap (le règlement qui plafonne la masse salariale des clubs NDRL), et dernièrement contre les marquee players (en Angleterre, cette règle permet de ne pas intégrer les deux joueurs les mieux rémunérés dans la masse salariale d'un club NDLR). Je ne dis pas que je suis contre, mais ne serait-ce pas un moyen déguisé d'augmenter le salary cap ? On doit faire attention, et être vigilant sur nos jeunes joueurs.

Ils savent qu'on ne fera pas n'importe quoi et qu'on ne jouera pas avec leur santé.

(Julien Plazanet) Que vous disent les joueurs et comment réagissent-ils à la situation ?

Ils sont dans l'inconnu comme nous, mais ils font confiance à l'encadrement et au staff médical de chaque club. Il y a de la qualité et des moyens relativement importants qui ont été mis en place. Ils savent qu'on ne fera pas n'importe quoi et qu'on ne jouera pas avec leur santé.

Le médecin au LOU Rugby Jean-Philippe Hager, co-invité de l'émission, évoque alors en 5 points les conditions qui pourront permettre le retour au rugby dans les clubs...

(Xavier Barret) Laurent Marti, on parle d'une reprise en petits groupes, la prise de température avec des tests quotidiens, des mesures de nettoyage et d'équipement très strictes, la suppression des portes... C'est jouable tout ça, financièrement et matériellement ?

Le coût n'est pas le problème vu qu'on parle de santé, mais ce sera fastidieux c'est évident. Quand on voit comment se passe un entraînement de rugby, avec nos joueurs qui sont parfois de grands enfants dans le bon sens du terme, est-ce que toute les mesures seront respectées ? Ça risque d'être difficile.

(XB) Au-delà de ça, la saison extraordinaire de l'UBB, la Coupe d'Europe, le public et les partenaires nombreux, les bénévoles... C'est dur à avaler, même si la priorité c'est la santé ?

On l'a digéré tout ça. C'est vrai qu'il y a eu un boulot fantastique en un peu plus de 12 ans... Cette belle saison on l'a vue arriver quand même. L'année dernière à 4 journées de la fin, malgré les absents, internationaux et blessés, nous avions passé 14 journées dans le Top 6.

Je voyais qu'on avait une belle équipe qui se dessinait et je savais qu'un excellent staff allait arriver avec Christophe en manager. Je m'attendais à une belle saison de l'UBB, pas aussi bonne c'est vrai. Mais c'est comme ça... au début on se demande ce qui nous arrive, et puis quand on voit ce qui se passe autour, on relativise. La seule chose qui m'a gêné c'est qu'on ait peut-être voulu nous empêcher, si c'était possible -et je dis bien si c'était possible- de finir la saison. Ça, ça m'a embêté. Après, on passe à autre chose, et voyez qu'aujourd'hui on ne sait même pas quand on va reprendre...

Bordeaux s'est découvert un public incroyable...

(XB) Faut-il selon vous réinventer le rugby, et le sport en général?

Je ne pense pas qu'il y ait grand chose à changer sur le rugby, à part sur le plan financier comme on l'évoquait tout à l'heure. On voit des bons matchs depuis 2-3 ans, le Top 14 a beaucoup évolué dans le bon sens du terme. On avait de beaux essais, de bons jeunes joueurs français, une équipe de France qui montrait de belles choses, ...

Et du monde à Bordeaux ! Ça "pue" le rugby à Bordeaux...

Oui, du monde à Bordeaux. Ce n'est pas la seule ville, mais c'est vrai que Bordeaux s'est découverte un public incroyable...

Un mot de la fin ? On a vu Nans Ducuing, beaucoup de solidarité de la part du rugby... Il y a la posture du président, mais vous avez un coeur énorme je le sais. 

Ma première pensée va d'abord aux malades et à ceux qui ont perdu des proches. Aux soignants également qui sont fantastiques et qui mènent une vie infernale dans certaines régions, je crois.

Pour ce qui est du rugby et de l'élan de solidarité, voilà tout simplement pourquoi on aime le rugby. On voit qu'on a formé des Hommes qui ne sont pas seulement prêts à aller au combat sur le terrain, mais aussi dans les moment durs de la vie. Il y a un sens du courage, du partage et de la solidarité. De tout ce qu'on apprend à l'école de rugby.

Écoutez le podcast en intégralité sur le site de Sud Radio (émission du 25 avril, début de l'interview à 104'20")