Laurent Marti : "plus de faux pas à domicile"

Laurent, merci de nous accorder ces quelques instants pour un entretien au cours duquel nous allons revenir sur la fin de la saison dernière, l'intersaison, le premier tiers de cette saison et l'avenir.

Première interview depuis le 4 janvier 2013, où la dernière question portait sur la fin du championnat, tu déclarais être confiant et que le maintien allait se jouer à deux matchs de la fin contre Biarritz. Peux-tu revenir sur cette fin de saison ?

Le mois de janvier avait été très difficile, nous avions eu très peur à ce moment-là, marqués par la défaite contre le Racing ici à Bègles qui nous avait laissé penser que nous risquions d'être en danger car Agen revenait. Et puis très vite en février cela s'est inversé et nous avons vécu une fin de championnat fabuleuse, avec du jeu, avec des résultats historiques dont le 41 – 0 contre Toulon et puis que du bonheur sur la fin et l'apothéose contre Biarritz avec 33 000 personnes à Chaban et encore une belle victoire qui nous a donné beaucoup de force et de plaisir.

Donc l'Union s'est maintenue et a recruté des joueurs venant de divers horizons et de niveaux très différents comme Lonca et Auzqui qui arrivaient de F2. Peux-tu nous parler de ce recrutement et plus particulièrement des jeunes qui sont l'avenir de l'UBB ? 

Il a commencé très tôt l'année dernière. Nous savions que nous manquions de puissance, d’où le recrutement de joueurs comme Benjamin Sa, Taiasina Tuifula, Alisio Fakaté, Poutasi Luafutu ou encore Thibault Lacroix derrière, et puis nous avons pris l’habitude d’aller chercher des jeunes en Fédérale. Il y a eu Camille Lopez, il y a cette année Benat Auzqui, que Régis Sonnes connaissait bien, Romain Lonca que Vincent Etcheto surveillait également, et Gillen Queheille que nous avons recruté à Mauléon. Et puis il y a nos jeunes du Centre de Formation qui pointent de plus en plus le bout de leur nez. Aujourd'hui on voit les Charles Brousse, Jean-Baptiste Lamotte, Darly Domvo, Gauthier Gibouin, Manu Saubusse, Baptiste Serin multiplier les temps de jeu. Nous voulons absolument continuer à développer la formation, qui représente l'avenir de ce club.

Ta théorie est de dire "jouons bien et le public et les sponsors viendront". Elle s'est révélée juste, nous avons la deuxième fréquentation après Toulouse et avant Toulon et Clermont, et les sponsors nous rejoignent dont un très important, la Matmut. Le fait que Castres, club à petit stade et moyen budget soit champion de France peut-il avoir influencé la Matmut à rejoindre l'UBB ?

Je ne sais pas, il faudrait leur poser la question. En tous cas, je crois que la Matmut a vu en Bordeaux Bègles un club sain, un club familial qui s'est développé avec peu de moyens. Je pense que la Matmut avait envie de s'associer à un club porteur de cette histoire et de ces valeurs. Nous, nous sommes ravis de ce partenariat car c'est notre premier vrai sponsor national. Par ailleurs, j'ai toujours dit aux joueurs qu'on a le public qu'on mérite et aujourd'hui nous avons un public que nous n’échangerions contre aucun autre tant il est fantastique. Le comportement des joueurs est également un fort vecteur de développement de l'UBB. Ils ont un tel état d'esprit, un bel esprit de famille, ils se battent tous comme s'ils étaient nés au coin du stade, et puis ils pratiquent un jeu tellement magnifique ...

Nous avons eu beaucoup de blessés en début de saison et un absent de marque Nicolas Sanchez retenu sur le IV Nations. Penses-tu que ce soit un handicap pour l'Union qui ne peut pas disposer d'un joueur pendant quatre mois, ou au contraire une chance car il revient avec une expérience du haut niveau international ?

C'est un handicap ! Aujourd'hui, on ne peut pas se permettre d'avoir un joueur non JIFF qui n'est pas là quatre mois de l'année, qui arrive après un tiers du championnat, et qui va peut-être louper d'autres matchs parce qu'il participe à la tournée de novembre. Donc ce sont des choses que nous serons obligés de corriger à l'avenir car on ne pourra malheureusement pas continuer avec des joueurs qui sont absents aussi souvent. Ceci dit, Nicolas est un super mec, un très bon joueur et en effet son expérience avec l'équipe d'Argentine va certainement nous apporter quelque chose, mais sur une partie de la saison qui est trop courte.

Cette année le championnat est très serré, les grosses écuries perdent à l'extérieur, Clermont à Oyonnax, Castres à Brive, les promus gagnent à domicile. Après neuf journées, le premier n'a que 27 pts avec 5 victoires à domicile, aucune à l'extérieur, du jamais vu. Comment expliquer cela ?

Par le resserrement du niveau en TOP 14. C'est un nivellement par le haut. Parce que tout le monde travaille de mieux en mieux, parce qu'il y a un afflux  de joueurs de qualité, qu'ils soient étrangers ou de formation française, et que le rugby reste un sport de combat : si l'on n'est pas prêt à mouiller le maillot, on peut perdre à tout moment.

L'an passé l'Union perdait ses matchs dans les dix dernières minutes. Maintenant c'est là qu'elle les gagne. C'est la preuve que l'équipe mûrit et que le travail des coaches paye.

Complètement ! On a souvent discuté avec les coaches pour dire qu'on manquait d'alternance, de gestion du jeu, de sens tactique. L'Union était brillante, mais pouvait perdre bêtement ses matchs à la fin. Le travail de fond fait par le staff en terme de défense, de gestion du jeu, d'alternance dans le jeu, aujourd'hui paye et on arrache les points à la fin au lieu de les perdre.

Justement les coaches : tu as dit que tu ferais le point avec eux après Bayonne. Il semble que tout le monde ait envie de continuer l'aventure qui n'en est qu'à son début. Peux-tu nous en dire plus aujourd'hui ?

Je sors d'un rendez-vous avec Raphaël Ibanez et nous n'en dirons pas plus pour l'instant. Je vais voir les entraîneurs, nous allons discuter, bien analyser la situation et prendre les bonnes décisions.

Renouvellements, prolongations, quelques joueurs cadres de l'Union Bordeaux Bègles qui arrivent en fin de contrat sont chassés par d'autres clubs, six d'entre eux viennent de prolonger : Chalmers, Connor, Clarkin, Jaulhac, Le Bourhis et Talebula, ce qui prouve la confiance qu'ils ont dans le club, le projet de jeu et le staff. Cela est une grande victoire pour toi, mais au-delà de ça, doit aussi faciliter le recrutement d'autres joueurs ?

Nous n’avons pas vraiment commencé le recrutement, même si j'ai commencé le travail de fond habituel afin d'étudier tous les jeunes encore en Fédérale, encore en PRO D2 ou dans les Centres de Formation des autres clubs, travail de fond qui nous permet par ce moyen d'aller dénicher quelques perles. Mais, en effet, le gros chantier consistait à garder nos meilleurs joueurs et, bizarrement, cela n'a jamais été aussi facile. Certes il a fallu faire des efforts financiers, mais c'est normal, on a des garçons qui accompagnent le développement du club, à nous dès lors que le budget augmente de faire en sorte que leur salaire augmente, mais tous sont restés pour moins d'argent qu'ailleurs. C'est une grande satisfaction car cela prouve le bon état d'esprit qui règne dans le club.

Pour finir avec le TOP 14, nous allons avoir un deuxième tiers de championnat très délicat avec sur les huit prochains matchs six matchs à l'extérieur pour deux matchs à domicile (Paris et Brive). Comment vois-tu cette série de matchs ?

Comme l'année dernière à la même époque : très dure, avec un calendrier qui ne nous arrange pas. On sait qu'il ne faut plus commettre de faux pas à domicile, et si on veut connaître le maintien un peu plus tôt, il va falloir aller chercher une victoire à l'extérieur, ce qui va être compliqué. Si cela se passe un peu moins bien que prévu, on fera en sorte de finir la saison en boulet de canon.

Passons à l'Amlin Challenge Cup qui commence ce week-end, tu y tiens beaucoup, est-ce une priorité pour le club et est-ce possible de jouer sur les deux tableaux ?

(ndlr Interview faite avant le match contre Bath). Dès le tirage au sort, j'ai envoyé un texto aux coaches, leur disant penser que cette année il y avait un coup à jouer. C'est vrai que pendant deux années nous n’avons pas pu jouer sur les deux tableaux parce que l'effectif ne le permettait pas, mais aujourd'hui l'effectif le permet. On commence presque par la finale : si nous battons Bath samedi, alors nous avons toutes les chances de nous qualifier. Il y a un point qui me fait un peu rêver : si nous nous qualifions en finissant dans les quatre premiers, nous aurons un quart de finale à domicile et la date de ce quart correspond à un weekend où il est possible de jouer à Chaban-Delmas. Essayons d'imaginer ce que pourrait être un quart de finale de Coupe d'Europe, un vrai contre un ténor. Nous n'avons pas connu de phase éliminatoire depuis celle de PRO D2, cela pourrait être une aventure magnifique et nous y sommes très attachés. Bath constitue le gros morceau, les gallois ne sont jamais faciles, les italiens sont un peu en dessous : il faut battre Bath d'entrée.
 

Quelle est ta position sur le différend qui oppose l'ERC et la LNR ? Est-ce un coup de bluff ou une réalité ? Quid des Celtes, des italiens, voire Roumains, Espagnols et Portugais.

Je suis solidaire de la Ligue Nationale de Rugby parce qu'avec les clubs anglais nous estimons que cette compétition est obsolète et qu'il y a beaucoup mieux à faire tant sportivement que financièrement. Il est  donc normal de bousculer les choses quand les gens en place refusent de se bousculer eux-mêmes. J'ai cru, moi le premier, qu’il s’agissait d’un coup de bluff, mais pour avoir participé à une réunion sur le sujet la semaine dernière, je peux affirmer que ce n'est pas du tout un coup de bluff, c'est quelque chose qui est lancé, qui est en route. Quant aux celtes, aux italiens, etc. il n'est pas question de les éloigner, je n'ai pas envie d'une compétition franco-anglaise entre clubs riches uniquement, cela ne servirait à rien. Sur le plan du développement géographique du rugby tant en France qu'en Europe ou dans le monde - et c'est pour cela que j'ai été très attentif à ce que proposait la LNR dans ce nouveau projet -, une place est faite à ces clubs, il leur est juste demandé de combattre dans leur championnat comme on le fait nous afin d’y gagner leur place en Coupe d'Europe. Mais il y a, à chaque fois, des minima financiers garantis et des minima de places garantis.

L'arbitrage. On t'a vu après le match contre le Racing sortir de ta réserve et jeter un pavé dans la mare. La vidéo est-elle la solution ?

Il y a plusieurs problèmes et je pense que les arbitres doivent maintenant être professionnels car il y a trop d'enjeux. Or je crois qu'on ne leur donne pas les moyens de travailler. Après, globalement, ça va dans le bon sens car il y a beaucoup d’arbitres en exercice, jeunes et moins jeunes, particulièrement compétents. Mais je continue à penser que certains ne sont pas complétement neutres quand ils entrent sur un terrain. Cela me met hors de moi parce que, outre la difficulté d'arbitrer, si en plus on entre avec des a priori, c'est gravissime. On en a encore eu des exemples récemment. Et puis c'est normal que je râle, et je continuerai à râler, puisque on a des preuves, images à l'appui, d'incohérences totales sur l'arbitrage. Il ne faut pas se laisser faire. La vidéo est tombée dans le ridicule, on va beaucoup trop loin car, si l’on se met à remonter les actions dans un sport aussi compliqué que le rugby, on peut trouver des fautes partout. C'était une bonne mesure prise par le rugby, aujourd'hui on va beaucoup trop loin, j'espère que l’on reviendra à quelque chose de plus simple.

En ce qui concerne les droits TV, on parle d'une offre à 120M€, c'est raisonnable ou…

Là on est dans la loi de l'offre et de la demande. Cela s'est retourné contre nous il y a deux ans puisque Canal+, faute de concurrence, a voulu profiter de la situation d'une manière non acceptable. Pour moi, ce diffuseur a commis une grave erreur parce qu'il y a une histoire forte avec le groupe Canal. On a tous envie de continuer avec eux, il y a beaucoup d'affect entre nous, on a participé au développement de Canal+ et ils ont participé au développement du rugby : dommage il y a deux ans qu’ils aient trop profité de la situation. Maintenant, une commission travaille sur le sujet, un appel d'offres est lancé, d'autres chaînes ont manifesté leur intérêt, et le jeu de l'offre et de la demande déterminera le montant. Celui-ci sera supérieur... ou inférieur. Le gagnant sera la chaîne qui mettra le plus de moyens, d'un point de vue financier comme dans le dispositif des retransmissions.

En ce qui concerne le stade où jouera l'UBB, tu as pris récemment position pour Chaban-Delmas, pourquoi ?

Mes raisons sont très simples : aujourd'hui on a un stade Chaban-Delmas qui existe, qui plaît à tout le monde, que nous aimerions récupérer tel quel sans aucun investissement pour les collectivités, qui contient 33 000 places quand nous faisons 25 000 spectateurs de moyenne, et on le remplit deux ou trois fois dans l'année. Et puis on a, à Bègles, un centre historique, culturel que l'on aime tous et auquel nous sommes très attachés, mais qui doit devenir le centre d'entraînement et de formation de l'UBB, d'autant plus que nous voulons mettre l'accent sur cette formation. On parle d'un agrandissement pour porter Moga à 18 000 places alors qu'il faut 25 000, et cela va coûter trente ou quarante millions d'euros aux collectivités - donc aux girondins -, alors qu'existe la possibilité avec Chaban de ne rien investir et de récupérer le stade dont nous avons besoin. Je pose la question de savoir pourquoi cela ne serait pas possible. Avec tout ce que nous faisons pour cette ville, pour cette agglomération, pour les gens, pour les jeunes, pour la cohésion sociale, pour le bonheur que l'on procure, pour les retombées économiques apportées par nos matchs et nos spectateurs, je ne comprends pas pourquoi cela pose autant de problèmes. Le dossier est entre les mains des décideurs politiques, je suis un petit pot de terre, eux des pots de fer : ce sont eux qui décideront, ce sont eux les vrais présidents du club. Mais je peux dire que si cela ne doit pas se passer ainsi, je ne démissionnerai pas. Il est hors de question de lâcher la barre, bien au contraire, car je suis particulièrement déterminé. Par contre, je pense que si nous ne pouvions pas disposer d’un stade dont nous serions le club résident digne de Chaban, dans trois ans nous serions en Pro D2.

Peux-tu nous dire un mot sur le grand stade FFR à Evry, projet de 600M€. Cela parait beaucoup, est-ce vraiment nécessaire pour le rugby français ?

Je ne sais pas. Je ne connais pas les tenants et les aboutissants. Je sais que la négociation avec le stade de France a été très compliquée. Les Anglais ont leur stade et la Fédération Anglaise s'en tire très bien. Le montant de l'investissement n'est pas forcément "énorme", tout dépend du retour que l'on peut avoir. Je suppose qu'il y a des gens intelligents qui travaillent sur le sujet. S'ils prennent la décision de le construire, il ne peut s’agir que de  la bonne décision.

Le journal L'EQUIPE a fait une grande double page sur le monde du rugby en tirant un peu à boulets rouges sur les grosses têtes et "l'argent qui rend fou le rugby". Comment ressens-tu cette évolution ?

Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé, c'est un peu un ramassis de frustration, de méchanceté, on ne voit pas trop sur quoi cela s'appuie. C'est vrai qu'il y a de plus en plus d'argent dans le rugby, qu'il faut être vigilant sur son évolution, mais je crois que notre grande chance est d'avoir un sport qui par essence t’oblige à rester humble, solidaire parce que tu as toujours besoin de l'autre. Je n'ai pas encore bien compris pourquoi il y avait autant de méchanceté, j'ai lu "ces ringards de rugbymans…", alors que je les trouve plutôt naturels et pleins de valeurs.

Il nous reste à parler des JIFF (Joueurs Issus de Formation Française), système monté pour protéger les joueurs et l'équipe de France.  Quand on voit les Decamps, Ferrères, Fakaté qui ne sont pas JIFF, et que sur la feuille de match on arrive à l'aberration suivante que le nombre de JIFF va de 75% à 46% suivant les clubs  (55% pour l'UBB). Quelle est ta position sur ce règlement ?

Je pense qu’il s’agit là d’une bonne mesure, qui va permettre d'avoir de plus en plus de joueurs issus de la formation française, qui évolueront en TOP 14, et puis peut-être que nous aurons aussi des gens d'origine étrangère qui, comme on l'a vu en football, nous ont permis de gagner la Coupe du Monde en 1998. Cela va dans le bon sens et ira encore plus dans le bon sens à l'avenir.

 

 Merci Laurent, et ALLEZ L'UBB ! 








Jacques     

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